A La Parfumerie, des jeunes explosent d’énergie

Article dans Le Temps
Ecrit par Marie-Pierre Genecand
Le 8 mai 2019

Des bombes qui éliminent des villages entiers. Sous la direction d’Evelyne Castellino, la Bande J raconte la guerre selon Falk Richter. Bluffant.

Que les gens qui doutent de la capacité de travail des 15-17 ans se rendent d’urgence au Théâtre de la Parfumerie, à Genève! Là, 15 adolescents dansent, chantent et jouent la comédie avec une telle précision et une telle envie qu’on en ressort admiratif et séduit. La chorégraphe Evelyne Castellino n’est évidemment pas pour rien dans cette déferlante d’énergie. Depuis plus de trente ans qu’elle a fondé sa compagnie 100% Acrylique, l’artiste associée à sa fille Nathalie Jaggi a toujours conçu la scène comme le lieu des corps libérés et éloquents.

Ici, elle emmène la Bande J sur les traces de Falk Richter, ce dramaturge allemand dont les textes à la mitraillette explosent les faux-semblants. Le thème de Sept secondes (in God we trust), paru en 2003? L’opération Tempête du désert de Bush, ou comment des pilotes US ont été téléguidés à distance pour exploser des villages entiers. Et comment les Américains, au pays, ont célébré ce nettoyage au kilomètre carré.

Et si la guerre s’abattait sur nous?

Sauf que Richter est un peu sadique. Subitement, il plonge ces fans d’une émission de téléréalité à la gloire de l’US Army dans un état de panique. Une sirène hurlante les force à courir remplir leurs caddies en prévision de la pénurie. Et si la tragédie si lointaine s’abattait subitement sur nos contrées? questionne le dramaturge allemand. Et si le carnage du désert devenait notre réalité? tacle-t-il. En parallèle, on entend justement la voix de ceux qui ont tout perdu. Cette jeune fille (Eleonora Wuarin) qui a vu son village se désagréger sous ses yeux et qui, tétanisée, peine à témoigner.

On entend des récits et des paroles hachées, mais on voit surtout, et dès la scène initiale, des corps secoués. La compagnie Acrylique a toujours eu ce talent de chorégraphier des foules affolées. Alignés au fond de la salle, les jeunes s’avancent vers le public. Chacun sa silhouette, chacun son style. Ils marchent, s’arrêtent à deux pas des spectateurs qu’ils fixent, repartent. Ensuite, lorsqu’ils reviennent, une main s’agite, une tête se tourne, des épaules s’affaissent. Le grain de sable grippe la machine. Enfin, les corps se heurtent, se mêlent, se reconnaissent ou se défient, se retrouvent pour se séparer à nouveau, et, sur des musiques de cathédrale, c’est le bal de la solitude contemporaine qui se raconte fortissimo.

Gym à la télé

Plus tard, on rit avec une parodie de gymnastique télévisée. Et encore plus tard, on est ému par un solo de danse d’une fille légère comme une plume (Annaïk Juan-Torres) qui amène sa délicatesse dans cette satire musclée. Le chant aussi joue son rôle. Soli (Nicolas Koch, Morgane Haldi) et tutti reprennent l’absurde quête du bonheur dans un monde miné par la guerre.

Quant au texte, l’enchaînement de monologues, procédé cher à Richter, va du désarroi du pilote téléguidé par ses supérieurs (Lucien Thévenoz) aux diatribes sécuritaires d’un président US déchaîné (Basile Campanelli). Un ange subtil veille aussi sur l’aventure (Luna Desmeules). Mais ce qui reste de la soirée, c’est le formidable élan collectif d’une troupe soudée et dont, même s’il est impossible de tous les citer, on salue chacun pour la qualité de ses talents et de son investissement.

Sept secondes (in God we trust), jusqu’au 12 mai 2019, La Parfumerie, Genève.